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Smic, prime d’activité : quel est le meilleur remède contre la pauvreté ?

, par Fabien Soyez

Face aux Gilets Jaunes, Emmanuel Macron a accéléré la bonification de la prime d’activité. Versée début février, elle sera augmentée de 90 euros, et concernera les travailleurs touchant entre 0,5 et 1,5 fois le Smic. Mais s’agit-il vraiment d’une solution efficace pour lutter contre la pauvreté ? Quid d’une augmentation du Smic ?  Éléments de réponse avec Éric Heyer, de l’Observatoire français des conjonctures économiques, et Gilbert Cette, professeur d’économie à l’Université d’Aix-Marseille.

 

Pensez-vous que la bonification de la prime d’activité de 90 euros permettra réellement d’augmenter le pouvoir d’achat et de lutter contre la pauvreté ?

Eric Heyer : Cette mesure n’est pas mauvaise en soi, car elle peut aider les travailleurs modestes à avoir un peu plus de pouvoir d’achat. Mais il y a une grande différence entre revenus et salaires : la prime d’activité n’ouvrira aucun droit aux personnes qui vont la toucher – aucun droit à la retraite, ou en cas de chômage, par exemple. Tandis qu’un salaire, pérenne, vous ouvre davantage de droits.

En outre, lorsqu’on augmente le Smic, il y a un effet de diffusion de cette augmentation sur un grand nombre de ceux qui étaient aux alentours de ce salaire minimum. Un peu plus de 9 millions de salariés en bénéficient. Tandis que dans le cas de l’augmentation de la prime d’activité, cela ne concerne au maximum que 2 à 4 millions de personnes. Tout le monde ne touche pas la prime d’activité. Elle dépend de votre situation familiale et de l’activité de votre conjoint – toute personne au Smic ne la touchera pas forcément. Et celles qui toucheront les 90 euros supplémentaires seront situés, selon nos estimations, entre 0,9 et 1,2 fois le Smic (le reste étant dégressif jusqu’à 1,5 Smic).

Si vous voulez lutter à court terme contre la pauvreté au travail et inciter au retour au travail (car si vous retournez dans l’emploi, vous gardez une aide, dégressive avec votre salaire), la prime d’activité est efficace, car elle est ciblée sur les ménages modestes – mais elle exclut ici les personnes au Smic à grand temps partiel et les personnes en situation de grande pauvreté.

Il y a enfin un taux de non recours non négligeable – 30 à 40 % des personnes éligibles ne réclament pas la prime d’activité, soit parce qu’elles n’ont pas conscience qu’elles peuvent être aidées, soit parce qu’elles ne le veulent pas par fierté. Mais ce taux est en baisse : il était de 50 % fin 2016.

Fiche de paye

 

Faudrait-il plutôt augmenter le Smic ?

Gilbert Cette  : Une augmentation du Smic ne permet pas de lutter efficacement contre la pauvreté. Dans les derniers rapports du groupe d’experts indépendants sur le Smic, que je préside, nous avons toujours préconisé la revalorisation du montant de base de la prime d’activité comme le bon moyen, sinon le meilleur, de lutter contre la pauvreté laborieuse.

D’abord parce qu’une hausse du Smic aurait des effets préjudiciables sur l’emploi de personnes les plus fragiles – ce qui n’est pas le cas ici, puisque la prime ne touche pas au coût du travail. Ensuite parce que le Smic n’est pas ciblé sur les personnes en situation de pauvreté – parmi les personnes qui le touchent, il n’y a que 19 % de pauvres, alors que la prime d’activité est très ciblée sur ceux-ci. (1) En outre, la prime d’activité est amplifiée selon la taille du ménage, et permet ainsi de lutter contre la pauvreté des enfants.

En plus d’être très peu efficace face à la pauvreté des travailleurs, augmenter le Smic détruirait des emplois (de personnes fragiles en particulier), puisque les chefs d’entreprises, notamment dans les PME, embauchent plus ou moins selon le coût du travail.

Le seul problème de la prime d’activité, c’est qu’elle alourdit les dépenses publiques. Pour financer l’augmentation de cette prime, nous préconisons avec Élie Cohen (directeur de recherche au CNRS), d’étaler dans le temps la montée en puissance du nouveau CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) – qui sera converti en 2019 en une baisse de charges pérenne sur les cotisations sociales payées par les entreprises. Très bientôt, les entreprises vont toucher deux chèques, le premier qui sera lié à leurs droits acquis sur l’année 2018 (20 milliards d’euros) pour l’ex-CICE, et le deuxième à leur situation de 2019 : en étalant dans le temps la montée en puissance du nouveau CICE, on pourrait dégager les moyens de financer cette anticipation de l’augmentation de la prime d’activité, et ce faisant, de réduire le coût pour les finances publiques et le déficit.

 
EH : Augmenter le Smic permet de toucher beaucoup plus de personnes, et beaucoup plus de salariés, y compris ceux qui ne le touchent pas, car ainsi on augmente la part des salaires dans la valeur ajoutée. Mais il existe à côté de cela des inconvénients majeurs.

D’abord, le Smic ne cible pas la pauvreté – vous pouvez le toucher mais vivre dans un ménage aisé. Il ne permet pas de lutter contre la pauvreté au sens large, mais contre la pauvreté au travail (à peu près 8 % de travailleurs pauvres en France). Ensuite, en l’augmentant, vous risquez de renchérir le coût du travail, avec un impact négatif sur les créations d’emploi.

Aujourd’hui, je ne prône pas une hausse du Smic. Il ne faut ni l’augmenter, ni le baisser. Il doit continuer à progresser de façon naturelle, selon les règles imposées actuellement. Compléter cela par des allocations logements et des primes d’activité, me semble donc être une bonne idée. Mais même dans ce cas, se pose la question du financement de la prime – le déficit ou de nouveaux impôts ?

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Comment augmenter le pouvoir d’achat de tout le monde et lutter contre la pauvreté en général, finalement ?

EH : Afin de toucher les personnes en difficulté, il faudrait déjà augmenter les APL et élargir la prime d’activité à l’ensemble des personnes modestes, en particulier celles qui sont au Smic à grand temps partiel. Toute politique de l’emploi, visant à faire baisser le chômage, contribue à faire progresser les salaires et à augmenter le pouvoir d’achat. Les emplois aidés permettent par exemple de donner du pouvoir d’achat à des ménages en difficulté. Mais une telle politique qui mènerait in fine à créer une spirale d’augmentation des salaires est plus lente à se matérialiser – et dans le court terme, vous pouvez donc l’accompagner par des politiques de primes d’activité ou d’aide au logement.

 
GC : Il faut en effet souligner que le défaut de l’augmentation actuelle de la prime d’activité, c’est que cela ne concerne pas les travailleurs à grand temps partiel. Il faudrait redessiner complètement le profil de la prime d’activité, beaucoup plus largement que ce qui est prévu par le gouvernement.

Les deux facteurs de pauvreté essentiels sont un trop faible nombre d’heures travaillées (être au chômage) et la taille de la famille (avoir plusieurs bouches à nourrir). La façon immédiate et première pour réduire la pauvreté, c’est finalement de baisser le chômage. La France fait encore partie des rares pays pâtissant d’un chômage massif – la majorité des pays de l’OCDE sont en plein emploi, et on ne peut que s’étonner de voir à quel point, dans tout le débat suscité par le mouvement des gilets jaunes, la question de la baisse du chômage a été complètement absente. La prime d’activité est efficace pour lutter contre la pauvreté des travailleurs, mais pour lutter contre la pauvreté de façon générale, il faut donc, de façon prioritaire, créer des emplois – par des réformes structurelles, dont les effets sont inévitablement progressifs, du travail à la taxation du capital, en passant par la formation professionnelle et l’apprentissage.

 
(1) Certaines aides de la CAF, comme l’allocation de soutien familial (ASF), le complément familial et l’aide personnalisée au logement (APL), font partie des revenus pris en compte pour le calcul de la prime d’activité.

 
 

Fabien Soyez

Fabien Soyez


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