Comment votre handicap s’est-il révélé ?
J’étais en école de commerce, je me destinais au secteur du tourisme et de l’organisation de voyages pour les entreprises. J’ai fait plusieurs stages à l’étranger. J’ai eu ma première alerte à 21 ans, lorsque j’étais au Népal en mission humanitaire pour trois mois. Un matin, je me suis réveillée et j’avais du mal à marcher et je ressentais des absences de mobilité du côté gauche. Au début, je mettais ça sur le compte de mes conditions de séjour un peu sommaires, mais trois jours après, j’étais totalement paralysée du côté gauche et je suis restée une semaine en soins intensifs. C’est lorsque j’ai été rapatriée que l’on m’a expliqué que j’avais fait un AVC et que j’avais une malformation au cerveau. J’ai alors fait un mois en centre de rééducation et comme j’avais récupéré ma mobilité, j’ai repris ma vie de jeune étudiante de vingt ans hyperactive.
Mais mon corps n’a pas suivi et j’ai refait plusieurs AVC. Et j’ai été opérée du cerveau une première fois en 2012, à 22 ans. On m’avait annoncé : soit tu te fais opérer et il est certain que tu deviendras handicapée, soit tu ne te fais pas opérer, mais tu finiras handicapée quoi qu’il arrive. Je dis donc toujours que j’ai choisi de devenir handicapée, plutôt que de rester malade sans rien faire. Je préférais prendre le risque de l’opération plutôt que d’attendre que le sort s’abatte.
C’était important pour vous de ne pas subir la situation, mais de garder votre cap ?
Je savais que cela serait difficile, mais je préférais passer par cette épreuve directement pour espérer du mieux ensuite. L’opération s’est bien passée : j’en suis sortie complètement paralysée du côté gauche, mais en meilleure forme que ce qui m’avait été annoncé ou que ce qui risquait d’arriver. J’avais encore l’usage de la parole, de la vue, de toutes mes fonctions cognitives. Mes séquelles n’étaient que physiques : j’avais toujours mon humour, mon ironie, mon intellect, et donc j’ai pu conserver mes interactions sociales et ma personnalité. Par la suite, j’ai passé six mois en centre de rééducation, c’était une période très difficile. Tous mes amis étaient à l’étranger en stage et je devais moi-même partir en Irlande, mais je me suis retrouvée avec plein de jeunes tous plus amochés les uns que les autres. C’est humainement très fort, on se partage nos vies et on crée des relations fortes avec des gens qui ont de graves maladies ou handicaps. Une fois la rééducation terminée, j’ai pu reprendre mes études et terminer mon master.
En quoi la survenue de votre handicap a-t-elle rebattu les cartes pour votre projet pro ?
En reprenant mes études, je me suis dit que je devrais quand même un peu me renseigner sur mon avenir professionnel : comment le handicap était-il pris en compte en entreprise ? J’ai donc décidé de faire mon mémoire de fin d’études sur cette thématique et j’ai donc mis le premier doigt dans le milieu du handicap au travail. J’ai trouvé cela passionnant. J’ai fait plein d’entretiens avec des DRH et j’ai découvert qu’il y avait des obligations légales d’aménagement de poste, des gens qui n’osaient pas parler de leur handicap… À l’issue de cette année, j’ai refait un stage dans le tourisme, mais je me suis dit que si mon handicap est survenu alors que j’étais si jeune, ce n’était peut être pas pour rien. J’ai voulu donner un sens à tout cela en participant à changer le regard sur le handicap en entreprise. C’est là que ma trajectoire a changé du tout au tout : je me suis réorientée vers les RH et le handicap au travail.
Comment avez-vous construit et entretenu votre résilience ?
J’avais la chance d’être très bien entourée par ma famille, mes amis. Quand le handicap survient quand on est déjà adulte, on a souvent eu le temps de se construire, de créer des liens humains et sociaux forts. C’est souvent plus compliqué pour les personnes qui naissent avec un handicap ou qui le développent quand elles sont encore à l’école. J’ai conservé la plupart de mes relations : on m’a dit et répété que le handicap n’allait pas mettre un frein à ma carrière, à ma vie amoureuse. J’avais un entourage très positif et cela m’a beaucoup aidée. Bien sûr, j’étais triste et j’ai dû encaisser cette période, avec aussi du déni à gérer, mais je n’avais pas de colère. J’ai tout de suite été dans le rebond, dans l’après : j’avais à peine 20 ans, il me restait 60 ans à vivre, je me suis donc dit « Ok ! Tu vas t’accrocher et tu vas mener tes projets quoi qu’il arrive ». Et depuis, je suis dans cet état d’esprit, je ne me mets pas de barrière parce que je suis handicapée et je réfléchis toujours à comment mener mes projets en m’adaptant du fait de mon handicap.
Vous êtes aujourd’hui conférencière et formatrice sur le handicap en entreprise, quel a été votre parcours ?
Quand j’ai commencé, il y avait encore peu de gens spécialisés dans le handicap en entreprise. Je me suis donc dit qu’il fallait que j’aille travailler en mission handicap pour avoir une action interne auprès des salariés. Le milieu médico-social n’était pas fait pour moi. En revanche, comme je n’avais pas le CV pour, je n’ai pas eu de retour positif à mes candidatures dans les missions handicap. Je suis donc passée par le milieu associatif et j’ai commencé à la Fédéeh, devenue depuis 100 % Handinamique, une association qui fait de l’insertion professionnelle pour des personnes en situation de handicap. J’y ai fait mes armes, j’ai rencontré plein de personnes du secteur. Ensuite, j’ai rejoint la mission handicap de Sopra Steria, d’abord sur la partie recrutement, puis pour faire du maintien dans l’emploi. J’ai dû arrêter et mettre ma carrière en pause à la naissance de ma première fille, qui a été greffée du foie et est atteinte d’un handicap invisible.
Cette expérience d’aidante familiale et ce premier arrêt de carrière ont changé les choses ?
Après deux ans d’arrêt et cette période difficile, je ne me voyais pas revenir au même poste ni au même endroit. C’était un peu comme pour effacer les deux ans qui venaient de s’écouler, voir ma fille dans cette situation et subir des opérations a été émotionnellement très lourd. Ce rôle d’aidant est pour moi plus difficile à porter que le rôle de personne handicapée. Mais aujourd’hui tout va bien, elle a fait sa rentrée au CP et se développe comme n’importe quel enfant. J’avais des envies d’entreprendre, j’ai donc créé une première start-up que j’ai rapidement quittée. Pour finalement me mettre à mon compte en 2023 en tant que conférencière et formatrice indépendante. Ce statut d’indépendante se conjugue parfaitement avec mon rôle d’aidant, les rendez-vous médicaux et autres. C’est le bon compromis qui me convient.
Que conseillez-vous aux personnes qui doivent composer avec le handicap dans leur vie pro ?
Pour les personnes concernées, j’encourage vraiment à faire les démarches pour avoir une RQTH ou avoir les papiers nécessaires si on souhaite un jour lancer une demande d’aménagement ou de compensation. N’hésitez pas à vous lancer, la démarche fait partie de la phase d’acceptation du handicap. Il faut être en mesure d’en parler et d’en informer l’employeur pour bénéficier d’un aménagement, mais vous n’avez pas non plus besoin de raconter toute votre vie ou tous vos détails médicaux. La relation de confiance entre le salarié et l’employeur est primordiale. Et quand on se dit les choses, cela se passe mieux.
En ce qui concerne le quotidien, pour ma part, je déteste être seule, j’ai donc fait le choix d’être très entourée et je recharge mes batteries grâce aux interactions sociales. Mais cela ne convient pas à tout le monde. Si vous avez dans votre entourage une personne handicapée ou qui le devient, ne lâchez pas cette personne, soutenez-la. Le simple fait de recevoir un message ou une attention peut faire une grande différence.