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Covid-19 : “L’économie et l’emploi restent tenus à bout de bras par l’État”

, par Fabien Soyez

Quel peut être le rôle de l’Etat pour minimiser l’impact de la crise du Covid-19 sur l’économie et l’emploi ? Que peut faire de plus le gouvernement pour voir plus loin que l’actuelle “économie zombie” dans laquelle nous sommes plongés ? L’analyse de Olivier Passet, directeur de la recherche de Xerfi.

Les mesures du gouvernement pour aider les entreprises et favoriser les embauches sont-elles suffisantes ?

Jusqu’ici, le gouvernement a mis en place un plan d’urgence, puis un plan de relance. Avec des aides pour les entreprises, le chômage partiel et des primes à l’embauche. Si l’on met tout bout à bout, le constat est que ces mesures ont été stabilisantes. Quand on regarde la trésorerie des entreprises, on constate qu’elle est à un niveau record aujourd’hui. Les organisations ont perdu énormément de chiffre d’affaires et gelé leurs recrutements. Mais nous n’avons pas vu la grande vague de destruction d’emplois que nous redoutions.

Au début de l’épidémie, on redoutait un véritable effondrement. Avec des faillites en chaîne largement supérieures à ce que l’on voit actuellement, et la destruction de 2 millions d’emplois d’ici 2021. Mais nous n’en sommes pas là. À ce stade, nous pouvons dire que l’argent injecté (100 milliards d’euros pour le plan de relance) a stabilisé les choses. Mais cela sera-t-il suffisant ? L’État fonctionne à guichets ouverts, sans contraintes de financement, ce qui lui permet d’ajuster son action stabilisatrice. Pour l’instant. De toute ma carrière d’économiste, je n’ai jamais vu de plan de soutien aussi rapidement mis en œuvre, avec des montants aussi importants. Mais nous restons dans une situation d’urgence, donc exceptionnelle.

 

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L’Insee parlait récemment d’une baisse du chômage “en trompe-l’oeil”. Ne risquons-nous pas de nous bercer d’illusion ?

L’économie et l’emploi sont tenus à bout de bras par l’État. Il s’agit d’une action mécanique, bien ajustée, mais qui repose entièrement sur l’action budgétaire. Les mesures prises depuis mai ne permettront pas de créer de l’emploi une fois l’épidémie passée. Nous avons vécu un énorme décrochage de l’activité, une remontée technique qui nous a ramené à 5 % d’un niveau normal de production, mais il y a une réelle crise des débouchés, qui devrait perdurer.

Certes, l’État a fait un bon travail de stabilisation. Mais le plan de relance actuel n’est pas du tout armé pour accompagner l’économie sur plusieurs années, et éviter que l’emploi permanent soit impacté. Ce à quoi nous risquons d’assister prochainement, c’est une contraction de la demande, avec un volume d’emploi terriblement réduit pendant les deux prochaines années. En dépit des aides, tout ce que nous pouvons espérer, c’est amortir un mouvement de fond ; une vague de réduction des capacités et de destructions d’emploi.

L’État pourra continuer de mobiliser l’arme de la formation des chômeurs, pour réduire le nombre des demandeurs d’emploi de catégorie A. Avec le chômage partiel en plus, il pourra maintenir l’apparence d’un chômage contenu. Mais il ne s’agira jamais que d’une vitrine, d’un habillage des statistiques qui ne rendra pas compte de la véritable situation de l’emploi.

Le risque est ainsi que la situation de l’emploi et du chômage soit trompeuse. Tant que les vannes budgétaires resteront ouvertes, nous aurons un tableau mitigé, qui ne sera pas en phase avec la situation réelle de l’économie. Qui risque de rester encore quelques temps une économie zombie. Si l’on peut être optimiste à court terme, c’est sur la trajectoire à long terme de l’économie que l’on peut être inquiet. Le jour où la contrainte budgétaire reviendra, ce sera une véritable épreuve de vérité. Avec le risque d’un deuxième tour de crise d’ici 2022.

 

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Que peut faire de plus l’État pour voir plus loin que cette “économie zombie” ?

Pour limiter encore plus l’impact de la crise, l’État peut renforcer le chômage partiel et le soutien budgétaire aux secteurs clés français, notamment les plus sinistrés (1). Surtout dans les mois qui suivront le reconfinement. (2) Il y a encore des milliards à avancer pour maintenir artificiellement l’emploi pendant au moins un an.

Mais à long terme, cela risque d’être une autre paire de manches. Pour permettre une vraie reprise, il nous faudrait un plan qui mette en place les filières de demain. 100 milliards d’euros ne suffiront pas à reconfigurer l’économie et à assurer sa croissance sur plusieurs années. Pour que ce soit le cas, l’enveloppe actuelle de 100 milliards devrait être renouvelée une dizaine de fois, avec une réforme de la gouvernance et une véritable “planification”.

 

(1) Le fonds de solidarité élargi, en vigueur depuis le 4 novembre, devrait bénéficier à 1,6 million d’entreprises en novembre pour un montant global de 6 milliards d’euros ; soit autant que la somme distribuée en 6 mois.

 

(2) Le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 prévoit 20,1 milliards d’euros pour tenir le choc du reconfinement. L’essentiel de cette somme servira à alimenter les différentes aides d’urgence dédiées aux entreprises (fonds de solidarité, activité partielle, exonérations de charges, etc.). “Aucune entreprise n’aura de problème de trésorerie en France, pendant la durée de la crise”, a promis Bruno Le Maire lors de la présentation du texte à l’Assemblée nationale.

 

 

Fabien Soyez

Fabien Soyez


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