Marion Le Batard, 41 ans, directrice de travaux : « Les métiers n’ont pas de genre »
« Mon titre est directrice de travaux, qui correspond au métier d’ingénieure travaux senior. Mon rôle est de piloter des projets de travaux publics, dans un budget et des délais impartis. Pour cela, j’anime le bureau d’études et les équipes du chantier pour tout préparer, faire le lien avec les parties prenantes, réaliser les commandes de matériels et de fournitures… Et une fois que le chantier est en production, il faut gérer tous les aléas techniques, humains et financiers. Je suis un peu la cheffe d’orchestre. Je travaille chez Soletanche Bachy, une filiale de Vinci Construction spécialisée en fondations spéciales. Je suis ingénieur géologue de formation, mais après plusieurs stages, j’ai compris que le métier de scientifique n’était pas fait pour moi et que je préférais l’opérationnel. Je me suis alors orientée vers la géotechnique, la science de tout ce qui est comportement du sol. Ce que j’aime par-dessus tout dans mon métier, c’est le travail d’équipe et le fait changer régulièrement de projet. C’est ce que j’ai compris après avoir fait un bilan de compétences et m’être posée la question de la reconversion.
Quand on me demande si j’ai ressenti des difficultés pour évoluer dans ce métier en tant que femme, je dis que cela peut, bien sûr, exister, mais que je n’ai pas eu ce problème. Il peut y avoir des guerres d’ego, mais j’essaie de faire passer mes idées de façon plus ingénieuse et cela se passe bien en interne. Le plus délicat, c’est peut-être plutôt face aux clients et aux cotraitants. Je pense qu’il est justement important de déconstruire les stéréotypes et les biais, qui font que beaucoup de jeunes filles se limitent elles-mêmes. Et je n’aime pas parler de métiers masculins. Les métiers n’ont pas de genre. En revanche, il est vrai que dans le secteur, il y a peu de femmes sur les chantiers et dans les métiers physiques. Tandis que sur des postes d’ingénieur comme le mien, c’est là où les femmes sont le plus représentées. C’est l’une des raisons pour lesquelles je témoigne et je partage mon expérience via My Job Glasses. Et aussi parce que je suis frustrée de voir des femmes partir de ce métier, souvent par crainte de ne pas y arriver. »
Laurence, 43 ans, capitaine de frégate dans la Marine nationale : « Je n’ai jamais ressenti le fait d’être une femme comme un frein »
« Je suis capitaine de frégate, l’équivalent du grade de lieutenant-colonel au sein de l’armée. Cela fait 24 ans cette année que j’ai intégré la Marine, et deux ans que je suis à l’état-major. J’occupe aujourd’hui la fonction de traitant à l’état-major. Au sein de la Marine, on change de poste à peu près tous les deux ans : de l’été 2021 à l’été 2023, j’ai ainsi été commandant en second de la frégate La Fayette, à la tête d’un équipage de 150 personnes. Depuis toute jeune, j’ai imaginé une carrière militaire. En classe de première, j’ai été admise pour finir mon lycée et faire ma classe prépa à l’école des pupilles de l’air, un lycée géré par les armées qui prépare aux concours d’officiers. J’ai loupé le concours de l’École navale la première année, mais je l’ai réussi la fois suivante, et j’ai pu intégrer la Marine en 2001.
En tant qu’officier, le début de carrière se fait dans la partie opérationnelle. J’ai donc fait plusieurs postes sur plusieurs bateaux, et j’étais spécialisée dans l’artillerie, en tant que missilier-artilleur. Quand j’ai commencé à exercer des responsabilités et à monter dans la hiérarchie, j’y ai pris goût, j’ai souhaité encore évoluer pour pouvoir m’exprimer, prendre des décisions. On compte aujourd’hui environ 17 % de femmes, cela augmente tout doucement, mais cela augmente. En début de carrière, j’étais souvent la seule femme officier sur mon bateau, c’est moins le cas aujourd’hui et les bateaux sont désormais conçus pour pouvoir accueillir plus de femmes. Je vois vraiment cette évolution : j’ai intégré la Marine en 2001 et la première promotion de l’École navale ayant accueilli des femmes datait seulement de 1993.
Je me suis rapidement sentie à mon aise. J’ai conscience d’avoir choisi un métier très masculin et je suis souvent la seule femme dans une salle de réunion, mais je ne l’ai jamais abordé en tant que tel, ni n’ai ressenti le fait d’être une femme comme un frein. Je fais ce métier parce qu’il me correspond. Je me suis moi-même tournée vers des camarades plus âgées, pour m’en inspirer, leur poser des questions. Il y a ce besoin de transmission qui peut nourrir des vocations. Je le dis à tous les jeunes que je rencontre, femme ou homme : pour parvenir à faire ce que l’on veut, il faut persévérer et ne rien s’interdire, ne pas s’autocensurer. Et je rassure les jeunes femmes : tout s’est bien passé pour moi, j’ai une carrière accomplie et une vie familiale équilibrée. »
Crédit photo: Cédric Helsy